Under white snow... [Nina]

Ses sabots s’enfonçaient silencieusement dans la neige, laissant dans leur sillage de profondes traces grises tandis qu’il courait, fantôme noir devant ces dunes d’un blanc immaculé. Il n’était aucun bruit pour effleurer ses oreilles si ce n’était le vent. Il n’était aucun obstacle pour l’empêcher de filer à toute allure. Il n’était aucun poids pour alourdir la légèreté de son galop. Mais il avait beau accélérer encore et encore, il ne parvenait pas à rattraper l’oiseau qui fendait l’air avec grâce et aisance, déployant ses grandes ailes blanches pour ondoyer au rythme des rafales. Les bourrasques que le cheval traversait, l’oiseau les survolait. Il n’existait rien qui puisse arrêter ses ailes puissantes.
Puis, doucement, l’oiseau ralentit pour se laisser dépasser par l’étalon piaffant de joie d’avoir atteint son but. Il plana quelques instants, masquant pour une seconde le soleil pâle qui filtrait à travers les nuages, pour redescendre lentement vers son compagnon. Et à peine touchait-il le sol que ce que le cheval avait pris pour un oiseau se matérialisa sous ses yeux inquiets en une jeune femme aux longs cheveux d’argent. Elle s’approcha de lui, la main tendue, et il y posa ses naseaux pour en sentir l’odeur. C’était bien celle qu’il connaissait. Celle de la femme qui l’avait fait sortir pour le conduire dans cet endroit et qui s’était soudainement volatilisée pour laisser place à un grand oiseau. Mais bien évidemment, l’existence des Anges était inconnue à cet animal. Il ne pouvait concevoir l’étendue de leur pouvoir. A vrai dire, il s’en fichait. D’ailleurs, il avait déjà oublié lorsque la femme sauta sur son dos et l’élança au galop à travers l’interminable paysage de glace.

« On est bientôt arrivé… » Lui souffla-t-elle à l’oreille.

Kementari identifiait au loin un amas de perles de neiges qu’elle connaissait bien pour l’avoir constitué elle-même, quelques années auparavant. Elle revoyait ce même cheval la transporter vers ce même lieu, tandis qu’un autre derrière eux portait le corps sans vie de Samïarh. Il neigeait ce soir là et chaque trace de leurs pas était immédiatement recouverte d’une couche de blanc étincelant. La jeune femme aurait pu se perdre milles et une fois, mais curieusement elle semblait savoir parfaitement où elle allait. Elle s’était arrêtée sans raison particulière et avait déposé le cadavre gelé dans une profonde cavité de la glace. La neige l’avait peu à peu recouvert tandis que la jeune reine récitait des prières. Elle avait ensuite « cueillit » une centaines de perles de neiges et les avait replantées dans le cercueil naturel formé par les flocons presque déjà durs. Puis elle était repartie les yeux gorgés de larmes qu’elle se refusait à laisser couler. Depuis, l’Elrosienne venait se recueillir une fois par an devant cette sépulture improvisée. Et le jour de ce recueillement était arrivé. Et comme chaque année, Kementari espérait croiser l’esprit errant de son frère bien aimé.
Jamais elle n’avait révélé cet énième secret. Il était interdit en Aepra d’enterrer les hommes selon les rituels, qu’ils soient de sang royal ou pas. Le royaume était résolument féministe et les individus de sexe masculin étaient simplement enterrés dans un cimetière commun, sans bénéficier des prières traditionnelles censées protéger l’esprit de l’errance éternelle. Qu’auraient dit ses sujets s’ils avaient appris que la reine avait enfreint ces règles ancestrales ? Qu’auraient-ils fait s’ils avaient découvert le corps de Samïarh ? Kementari n’osait même pas se l’imaginer. Mais elle ne regrettait en rien ce qu’elle avait fait, sacrilège ou pas. Son amour pour son frère et plus généralement pour sa famille l’avait déjà poussée trop loin pour qu’elle renonce sous prétexte de transgresser des lois injustes. Un blasphème de plus ou de moins… Elle en avait déjà tellement à son compte.

« Stop. »

La monture ralentit doucement avant de s’arrêter. Elle s’ébroua un instant puis chercha au sol une quelconque pousse à brouter. Cependant il n’y avait là que des perles de neiges, plante non-comestible pour les chevaux, et l’étalon se désintéressa bien vite du sol pour aller trottiner plus loin. Sa cavalière avait mis pied à terre depuis bien longtemps. Elle s’était agenouillée devant la « tombe » de son frère et psalmodiait des paroles incompréhensibles. Kementari sentait sa robe s’humidifier déjà au contact de la neige, se collant lentement à ses jambes mais elle ne fit pas un geste pour tenter de s’asseoir sur sa cape. Elle ne devait pas bouger pendant les prières. Ni essuyer l’eau des flocons qui fondaient au contact de sa peau, ni secouer ses longs cheveux pour enlever la neige qui les parsemait. Dix minutes d’immobilité était le prix à payer pour la paix de l’âme de Samïarh, et sa jeune sœur était prête à le payer mille fois s’il le fallait. Au loin elle entendait son compagnon piaffer et courir pour se réchauffer, tandis qu’elle gelait sur place. Chaque minute qui s’écoulait lui donnait l’impression qu’elle ne sentirait plus jamais ses doigts. Mais le fait de penser à son frère la rassurait et lui faisait oublier le froid mordant. Peut-être cette année son spectre lui apparaîtrait-il ? On racontait que les esprits des hommes erraient parfois dans le désert, à la recherche d’une chose qu’ils ne pouvaient atteindre…
Les prières étaient terminées.
La jeune femme remua les doigts et secoua la tête pour chasser les flocons posés sur ses longues mèches. Elle se releva et assouplit ses membres engourdis par le froid. Après avoir essuyé sur son visage la neige fondue mêlée à ses larmes brûlantes, elle rappela sa monture par un sifflement doux. Pourtant, alors qu’elle s’apprêtait à sauter sur son dos, elle se ravisa. Un bruit étrange venait d’attirer son attention…

[J'en t'en prie, le poids n'a pas d'importance ^^ Bon, par contre je suis désolée de la qualité du mien, mais je suis un peu fatiguée en ce moment ; j'ai des exams =)]

Le vent souffla puissamment, faisant claquer les pans humides de sa robe et hennir le cheval. Kementari posa sa main glacée sur son encolure et remonta jusqu’à ses oreilles qu’elle caressa doucement pour le calmer. Sa propre ouïe venait de percevoir un léger murmure, éparpillé par les rafales et elle tourna à demi la tête, espérant apercevoir son mystérieux interlocuteur malgré la neige qui s’était remise à tomber. Mais, à travers le rideau de flocons qui les séparaient, la jeune femme put tout de même distinguer son interlocutrice. De là où elle était, elle ne voyait que sa silhouette agréable et pas l’ombre de son visage. Néanmoins, un autre détail avait déjà retenu toute son attention. Cette femme avait les cheveux argentés ; tout comme les siens. Ils n’étaient pas exactement semblables, mais le résultat restait le même : une stupéfaction des plus totales. Jamais, dans ses 22 ans d’existence (ce qui était peu ; certes), Kementari n’avait connu de personnes ayant cette chevelure si particulière et d’autant plus rare chez les anges.
La souveraine se retourna totalement, de manière à lui faire face, non sans rabaisser auparavant son capuchon noir ; il serait dangereux que quelqu’un ne découvre ses escapades régulières. Ainsi, sa vision était légèrement améliorée. Tout d’abord, bien qu’ils fussent longs, ses cheveux à elle restaient interminables. Mais leur éclat et leurs reflets donnaient à la jeune femme une aura brillante et un visage aux allures angéliques. Elle ne put, au fond d’elle-même, s’empêcher de ressentir une pointe de jalousie mais son visage restait figé dans une douce impassibilité. De toute façon, l’inconnue ne pouvait voir, sous l’ombre opaque du capuchon, ses yeux verts pétillants d’un amusement déplacé. Pas qu’elle s’amuse à la ridiculiser intérieurement sous l’effet de la jalousie (n’allez surtout pas vous l’imaginer, vous tomberiez juste), mais simplement parce qu’elle n’avait strictement rien d’autre à faire (Là, vous tomberiez plutôt faux).

Mais malgré l’ombrage qu’elle lui causait, la jeune reine comprenait que son interlocutrice n’était pas quelqu’un à prendre à la légère. L’éclat de sa peau accentué par la blancheur de la neige et sa chevelure d’argent renforçait encore cette impression de puissance, non pas physique mais spirituelle. Une certaine aura se dégageait d’elle. Une aura qui lui était – soit dit en passant – parfaitement inconnue mais qui s’approchait de celle qu’on les rois ou reines dont le règne avait été grandiose. Une nouvelle fois, la jalousie de la suzeraine déchaîna quelques unes de ses vagues.
Elle ne possédait pas cette aura, elle. Et sans doute ne la posséderait-elle jamais, maintenant. Peut-être aurait-elle pu s’il n’y avait pas eu la mort de sa famille ; si sa mère avait pu parfaire encore son apprentissage et si son cœur n’avait pas été dévoré dans son entièreté par la vengeance et la rancœur. En cela, la jeune femme lui était supérieure et, bien qu’elle n’en laisse jamais rien paraître, Kementari supportait assez mal qu’on la surpasse. Néanmoins, seule une personne le savait à ce jour et les gens ne risquaient pas de s’en rendre compte tant son visage restait figé dans une impassibilité travaillée – et d’autant plus dans son propre royaume.
Une bourrasque l’arracha de ses pensées en projetant sur elle son souffle glacé, et faisant se soulever un instant son capuchon. La jeune femme le rajusta et fit discrètement travailler ses doigts qu’elle commençait à ne plus beaucoup sentir. Or, ce pouvait être handicapant lorsqu’elle voudrait rentrer et diriger les rênes de sa fougueuse monture.

« Bonjour… » Lança-t-elle à son tour, assez fort pour couvrir le vent. « Puis-je savoir ce que vous faîtes dans ce désert de glace ? »

La question lui était venue assez naturellement. C’était certes une manière assez impétueuse de se renseigner sur ce qui ne la regardait pas forcément mais Kementari n’était pas reine pour rien et les vieilles habitudes ne se perdaient pas comme ça. Et, de toute façon, il était plutôt logique que tout un interlocuteur ce que pouvait faire une jeune femme comme elle dans un endroit comme celui-ci. Le seul risque – qui venait de lui sauter aux yeux, à l’instant même – était qu’elle ne lui retourne la question…